J'ai une histoire à vous raconter. Voyez-vous, mon père m'a acheté un chevreau, pour deux sous. Un tendre petit chevreau, la plus douce des créatures. Mais voilà qu'un chat errant, un chat vicieux, fourbe et cruel, profita d'un instant d'inattention de ma part pour se jeter sur mon chevreau et le dévorer. S'en fut fait de mon pauvre petit chevreau. Plus tard, un chien qui passait par là vit le chat et le mordit à mort. Mais ce chien dangereux effrayait tout le voisinage et un gourdin s'abattit bien vite sur la tête. Ce soir-là, un incendie se déclara et le gourdin brûla avec le reste. Le tonnerre retentit, les nuages se crevèrent et des trombes d'eau éteignirent le feu, laissant de grosses flaques dans la rue. Un bœuf à la panse énorme arriva sur les lieux et se mit à boire l'eau, tant et si bien qu'il n'en resta plus une trace. Ce bœuf poursuivit son chemin et arriva à l'abattoir où il fut mis à mort par le boucher qui l'attendait. L'ange de la mort décida alors que l'heure du boucher était venue et prit la vie du boucher. Cette histoire, tous les foyers juifs la racontent le soir de Pessa'h depuis des millénaires, en la chantant en araméen, en judéo-arabe, en judéo-espagnol, en yiddish, en russe... Elle ne fait pas partie à proprement parler du rituel, mais elle est là, car elle exprime cet aspect de notre histoire. Le chevreau, bien sûr, est le peuple d'Israël, la plus petite et la plus frêle d'entre les nations, que D.ieu, notre Père céleste, a acquise en la faisant sortir d'Égypte, de la maison d'esclavage. Las ! Au cours de notre histoire, de nombreux « chats », « chiens » et autres « gourdins » se disputèrent le privilège de nous persécuter, qui par le glaive, qui par l'humiliation, qui par la calomnie... Mais, immanquablement, ils connurent tous une fin amère, et « D.ieu nous sauva de leur main » comme le dit le texte de la Haggadah. Ils ont disparu et nous sommes ici, vivants et vibrants, à raconter l'histoire de notre libération, à en extraire toute la lumière qui s'y trouve pour mieux éclairer notre présent et celui du monde. Aujourd'hui encore, comme dans toutes les époques, ils veulent nous exterminer, par pure haine de D.ieu, mais D.ieu nous sauvera de leurs mains, car nous avons foi en Lui. Et c'est cette foi qui nous a soutenus pendant toutes ces générations. Et ainsi nous savons que bientôt s'accomplira la dernière strophe de l'histoire de l'agneau : « D.ieu décidera que la fin de la mort est arrivée et tuera l'ange de la mort, qui avait tué le boucher, qui avait tué le bœuf, qui avait bu l'eau, qui avait éteint le feu, qui avait consumé le gourdin, qui avait frappé le chien, qui avait mordu le chat, qui avait mangé le chevreau que mon Père m'avait acheté pour deux sous. » Emmanuel Mergui Chabad.org |